Bieke Depoorter
à New Richmond

EXPOSITION

C’est assez pour aujourd’hui

Bieke Depoorter, Gand (Belgique) | biekedepoorter.com

Une lumière jaune enveloppe les arbres, tentant d’empêcher la nuit noire d’obscurcir les alentours. Comme un voleur dans la nuit, on aperçoit la silhouette d’une femme allongée, une image effacée contre la toile de fond boisée. Le maillot de bain à pois bleu et blanc se soustrait presque à la vue. Avec quelle facilité s’ajuste le regard, qui s’étonne du jeu d’ombres en arrière-plan. Comme ces personnes qui adorent le soleil que l’on voit sur les plages l’été, on voit ici quelqu’un prendre un bain de lune dans le noir de la nuit.

Ses pensées errent vers des lieux hors de notre portée. Allongée dans un bain en pierre, elle a abandonné le monde extérieur, indifférente, comme l’eau qui glisse sur le dos d’un canard. Elle semble tendre la main, peut-être dans l’attente d’un baisemain. On imagine qu’elle pourrait disparaître, lentement, graduellement, dans ce trou de la taille d’un humain. La lumière jaunie, troublante il y a quelques instants, révèle maintenant une lueur dorée, comme si elle capturait ou conjurait cet apparent moment d’abandon. On peine à concevoir que cette scène pourrait se dérouler dans un autre lieu, à un autre moment. Et encore plus à réaliser à quel point la photographe réussit à rendre ce moment comme allant parfaitement de soi.

Suivant les traces de son livre, fort bien accueilli, Ou Menya (Avec vous) – présentant son périple à travers la Russie –, Bieke Depoorter a entrepris de voyager aux États-Unis. Elle a passé ses nuits chez de parfaits inconnus, croisés au gré de ses déplacements. En feuilletant le livre photo, on n’a toutefois pas l’impression que les personnes photographiées étaient en compagnie de Bieke. Elles semblent complètement détachées, sur le point de dire « c’est assez pour aujourd’hui », comme si la photographe avait réussi à se rendre invisible et à y laisser juste son regard. Elle a en réalité conquis leur cœur en leur révélant candidement sa propre vulnérabilité. En retour, ils lui ont fait confiance, et c’est ce qui nous permet d’observer ces silhouettes fugaces qui nous saluent, signalant ainsi qu’ils sont encore là, vivant leur vie malgré les luttes et les conflits.

Nous sommes plongés dans l’obscurité, grattant à peine la surface de ces portraits bruts et sans fard. Une brise surréelle souffle sur les portraits et les paysages de ce livre, malgré la nature documentaire, et le langage visuel tend à être plutôt de nature cinématographique. Peut-être que ces images n’ont pas été conçues pour être comprises, la photographe étant d’ailleurs pleinement consciente de l’inarticulé et de l’ineffable, qui s’évaporent si aisément. On voit comment tout se met en place, dans le cadre de la photographie, et de quelle façon, dans ce moment unique, la lumière a caressé une surface. Si loin, si proche.

Texte : Maarten Dings

EXPOSITION AUX RENCONTRES

C’est assez pour aujourd’hui

Bieke Depoorter a obtenu en 2009 une maîtrise en photographie de l’Académie royale des beaux-arts de Gand. Trois ans plus tard, à l’âge de 25 ans, elle a été nommée pour faire partie de la coopérative de photographie Magnum Photos, puis a accédé au statut de membre à part entière en 2016.

Bieke Depoorter est récipiendaire de plusieurs prix et honneurs, entre autres les prix Magnum Expression Photography Award, Larry Sultan Award et le Prix Levallois. Elle a publié quatre livres : Ou Menya, I Am About to Call it a Day, As It May Be et Sète#15. Elle a travaillé en collaboration avec Aperture, Éditions Xavier Barral, Édition Patrick Frey, Lannoo, Hannibal et Le bec en l’air pour la publication de ces livres.

Les liens que crée Bieke Depoorter avec les sujets de ses photographies sont au fondement de sa pratique artistique. Les rencontres fortuites en sont le point de départ et c’est le développement naturel des interactions qui dicte la suite. Plusieurs de ses projets récents sont le fruit de son questionnement constant sur le médium lui-même.